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Année après année, une propriétaire déserte le palais familial, condamne les pièces l’une après l’autre, mais laisse en l’état tous les mobiliers, les bijoux, les bibelots, les tableaux, les livres et les lettres, pour finir ses jours, sous les yeux de ses domestiques éberlués, dans la maison d’en face. Cette histoire d’une évanouie plairait à Roger Kempf. Elle est entrée dans un roman. Elle pourrait revenir dans un poème ou un essai. Elle aurait une place sous le lustre et dans la machinerie du théâtre. Et puis, elle donne une idée de cet insaisissable défini par un critique étonné qui passe ici, sans ordre de marche, des statistiques de Diderot aux fureurs de Flaubert, du bourbier de Baudelaire aux cachotteries de Gide, de la goinfrerie de Joyce aux yeux malades de Beckett. Car Roger Kempf ne ferme jamais la chasse. Il multiplie les pistes, tend ses pièges, devine à partir d’une empreinte où se trouveront les vingt suivantes. Il sait que tous les escamoteurs, quels que soient leurs mouvements suspects, attirent l’attention des commentateurs sur le côté de la table où il ne se passe rien. Il a appris que le critique, qui varie ses traques, ne s’attache qu’à ce qui l’empoigne, le saisit, et provisoirement le possède. Le romanesque, qui est l’unique sujet de Notamment, est le nom de cette possession. Les lecteurs maussades répètent, depuis deux siècles, que les romans s’écrivent avec ce qui nous manque et qui nous fait souffrir. Roger Kempf, qui se moque du mal qui n’est pas fait et de tout ce qui reste à pleurer, relit ses auteurs qui révèlent que le romanesque n’est terrible que parce qu’il est anodin. Notamment, où le critique égalise le particulier et le principal, le notable et le mémorable, en donne mille exemples situés. Ces exemples sont irréductibles à toute exégèse, aussi incongrus que peut l’être l’imparfait qui prolonge la fin d’Hérodias. Dans le conte de Flaubert, la tête de Jean-Baptiste est récupérée par ses disciples : « Comme elle était très lourde, ils la portaient alternativement. »
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