MEMOIRE
EAN13
9782234059641
ISBN
978-2-234-05964-1
Éditeur
Stock
Date de publication
Collection
Essais - Documents
Nombre de pages
500
Dimensions
23 x 15 cm
Poids
730 g
Langue
français
Fiches UNIMARC
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Quand il avait un an, je l’ai mordu.
Il s’accrochait aux barreaux de son parc, il ne marchait pas encore et je l’ai mordu de toutes mes forces. La trace de mes dents formait un bel arc bleu sur la peau délicate de son ventre de bébé ; il n’y avait aucun doute, j’avais mordu mon frère. Il se mit à hurler. La punition tomba : une minute plus tard, j’étais privée de lui. Je n’eus plus le droit de le toucher. J’avais sept ans.
Le même, ce matin, soixante-trois ans plus tard. « Alors, tu ne m’aimes plus ? » dit-il d’une voix fâchée. On n’a pas réussi à se parler hier et cela ne rentre pas dans notre ordre des choses. En temps normal, on se parle tous les jours et quand il est en Chine ou que je suis en Inde, on s’envoie des textos. On a toujours besoin de savoir où l’on est, ce qu’on fait au long de la journée, si tout va bien ce soir. Nos chicayas ne durent jamais longtemps, deux heures de fâcherie dans le pire des cas. Il lui est arrivé d’écrire que nos liens étaient indestructibles et tout prouve que c’est vrai. Il est mon frère unique sans qui je n’existerais plus. Hegel dit cela très bien à propos d’Antigone : « La relation sans mélange a lieu entre le frère et la soeur. Ils sont le même sang, mais parvenu en eux au repos et à l’équilibre. » Enlevez l’un, l’autre va mal.
L’inconvénient avec cet amour-là, c’est qu’il pousse chacun de nous à croire l’autre immortel. Il va falloir bientôt penser à le préparer à ma disparition, car si je ne m’en occupe pas, il souffrira.
Cet amour-là, on ne nous l’a pas donné. Nos débuts ont été tumultueux.
J’avais un peu plus de cinq ans lorsque Rivka, ma mère, s’aperçut qu’elle était enceinte, en septembre 1944, juste après la libération de Paris en août. Ah, Rivka !
À l’état civil, elle s’appelait Raymonde, à cause de Raymond Poincaré ; mais son nom en hébreu est Rivka, en français Rébecca. Rivka, gloire de sa famille. Elle est dans un de mes romans et trois de mes récits ; elle est racontée dans un récit de mon frère, Plus tard tu comprendras, adapté pour la scène par Cécile, ma fille ; elle est jouée par Jeanne Moreau dans Plus tard, le film d’Amos Gitaï. En lettres capitales, le film lui est dédié : À RIVKA. Grand-mère de six petits-enfants, Rivka, dite Raymonde, garde encore de bonnes chances de survie artistique. La preuve, elle m’occupe. Il existe une photo d’elle à trente ans, très posée, très coiffée, studio Harcourt. Sa bouche est pleine, gonflée, chaque lèvre égale à l’autre. L’ovale de son visage est parfaitement limpide ; la joue, rose et ivoire comme la peau d’une grenade ; le nez, légèrement busqué, ni trop long ni gros ; les cheveux sont denses et puissants, dégageant bien le front. Pommettes hautes. En vérité, tout ce qu’elle a d’Orient se trouve dans le regard : l’arc du sourcil étiré vers la tempe, l’oeil, noir et vif comme pupille de colombe reflétant une tristesse qui veut dire au sourire « Cache-toi ! On va te voir, attention ! » Rivka, la fiancée du Cantique des Cantiques.
Pendant toute la guerre, elle avait réussi à survivre à Paris en changeant souvent de domicile, protégée par un médecin de l’Abwehr, un Juste allemand qui venait l’avertir quand la Gestapo ou la milice française allaient venir l’arrêter. J’ai déjà raconté cette histoire, mais quand j’écris ces mots, je suis chaque fois stupéfaite de ce qu’ils signifient. Un médecin allemand ? Pendant l’Occupation ? Le médecin de l’Abwehr, le service de renseignements de la Wehrmacht ?
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Rencontre avec Catherine Clément, auteur de "Mémoire", chez Stock.

"Tout le monde croit connaître Catherine Clément.
Chacun est capable d’évoquer à son sujet, et en vrac, sa passion pour l’Inde, ses romans philosophiques, ses années d’enseignement et de journaliste, ses missions aux affaires étrangères qui l’ont menée, avec son compagnon ambassadeur, aussi bien à Vienne et à Delhi qu’à la découverte de l’Afrique, sa fréquentation des sphères de la psychanalyse, mais cet inventaire paraît déjà aussi désordonné qu’incertain, aussi sommaire que réducteur.
En vérité, personne ne connaît Catherine Clément. Voilà ce qui apparaît d’emblée à la lecture de ses mémoires.
À travers ses rares récits autobiographiques (dont "Cherche Midi", Stock, 2000), ses lecteurs ont approché son enfance de petite fille juive française, mais jamais Catherine Clément avant la publication de ce livre – sans aucun doute le plus important de sa vie – n’aura dévoilé tant de secrets, de souvenirs enfouis, de mystères jamais élucidés."

© hachette.com

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