Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

Anne-Marie Métailié

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28 mars 2011

Poussant au paroxysme les comportements actuels de certains, Rui Zink fabrique une sorte de fable absurde. Absurde, parce que son raisonnement se heurte à nos limites, et qu'il pousse le bouchon toujours plus loin. Mais est-ce vraiment si inenvisageable ? Nos comportements individuels ou communautaires ne nous pousseront-ils pas toujours plus loin ? Toujours vers le plus de sensations ? Vers les plus d'émotions fortes ? De défis ? Pour ma part, je vous rassure, je me satisfais de ma vie quotidienne et n'ai point besoin de poussées d'adrénaline à hautes doses pour avancer. C'est probablement pour cela que je qualifie de farce absurde -une qualité pour moi, dans ce cas- le livre de Rui Zink.

En outre, l'auteur ponctue son roman de digressions diverses sur la société, notamment sur la presse et son souci de sensationnalisme : "Et une information de dernière minute : un homme avait été trouvé dans un bunker vivant avec sa fille, devenue son esclave sexuelle qui lui avait donné quatre autres enfants (à lui) qui étaient ses frères (à elle) et donc aussi ses enfants et qui n'avaient jamais vu la lumière du jour." Cette information supplante celle de l'enlèvement de 23 touristes philippins dans la zone : "ils [les Philippins] pouvaient même désormais être découpés en morceaux et jetés aux chiens [...] qu'ils auraient du mal à surpasser ce fait divers : sadisme, pédophilie, inceste, tout ça dans un même paquet ? Un cadeau si merveilleusement empoisonné qu'aucune rédaction, douée d'une raison infaillible, ne pouvait le refuser." (p.106)

Ces remarques, pas toujours très aisées à lire ajoute cependant de la profondeur, s'il en était besoin, à ce livre. Le tout enrobé dans une écriture qui n'omet ni l'humour, ni la dérision ni le sarcasme, plutôt bienvenus pour supporter la puissance du propos.

Vents d'ailleurs

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28 mars 2011

Souvent, dans nos billets, nous parlons de livre fort, à raison, mais là, j'aimerais trouver un qualificatif autre, plus... fort. Quel livre ! Quels personnages ! Hérodiane et Estevèl forment une fratrie soudée. L'une est jolie, convoitée par les hommes, jalousée par les femmes, mais elle sait ce qu'elle veut, et surtout ce qu'elle ne veut pas. Mais quand elle rencontre son Prince Charmant aux yeux clairs, les barrières tombent. L'autre, le frère, est protecteur, attentif, fait preuve d'abnégation pour que sa soeur puisse vivre une vie de jeune fille.

Le contexte est terrible : la vie à Paradi, bidonville de Port-au-Prince où une jolie jeune fille est soit mariée, soit plus probablement, vit de ses charmes, certaines sont prostituées par leur propre famille dans le but de trouver un mari ou de rapporter l'argent qui fait vivre tout le monde.

Gary Victor, dans un style simple, direct et franc décrit sans détour le passage à la vie adulte des deux jeunes gens, la découverte de leur pays, de la pauvreté, de l'extrême dénuement des habitants des bidonvilles et de la vie facile des riches, qui s'enrichissent encore sur le dos des plus pauvres : Yvan, le Prince Charmant d'Hérodiane, héritier d'une des plus riches familles du pays lui raconte : "Paradi, c'est le nom qu'ont donné au bidonville ses premiers habitants. Mais le terrain sur la montagne nous appartient. Essaie de comprendre. Plus de mille habitations de fortune louées à l'année en moyenne à quinze mille gourdes, cela fait quinze millions de gourdes, soit trois cent soixante-quinze mille dollars américains environ chaque année sans redevance fiscale. Nous nous arrangeons pour faire croire que nos terres sont occupées illégalement et ainsi, nous gardons la possibilité de nous faire dédommager par le gouvernement. Nous plantons de la misère, nous cultivons de la misère et nous récoltons de l'or." (p.130)

Dès lors, comment croire à la possibilité des Haîtiens de se sortir de leur misère ? Ajoutez à ce constat, des catastrophes climatiques récurrentes, et la situation devient inextricable. Rodney Saint-Eloi, dans Haïti kenbe la ! dit que son peuple est fort, courageux et qu'il saura reconstruire son pays. C'est tout le mal qu'on lui souhaite, mais quel travail à faire !

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21 mars 2011

Ça tarde à démarrer, les personnages sont à peine crédibles, notamment Rebecka Martinsson, et l'intrigue traîne en longueur. Il faut attendre une bonne moitié du livre pour qu'il devienne enfin intéressant et que le suspense monte. Bon, la policière, enceinte jusqu'aux yeux, aidée d'un collègue aux moustaches de morse, je peux y croire ; le substitut du procureur, irascible, en colère perpétuelle de se retrouver dans ce trou de Laponie alors qu'une telle intelligence doublée d'un tel charisme pourrait faire de lui un procureur très en vue dans la capitale, je veux bien aussi, bien que je sente poindre une légère caricature ; mais l'avocate fiscaliste, limite anorexique qui trouve des forces surhumaines pour affronter ses propres démons internes et externes et ceux de l'église de la Force originelle et qui dans le même temps doit s'occuper de deux fillettes, elle qui peut à peine s'assumer, là, je n'adhère plus. Pas crédible, même pour un roman policier dans lequel, on sait bien qu'on risque de trouver des situations exagérées, voire totalement fantaisistes. Mais le propre des polars nordiques, c'est justement de confronter ce genre à une réalité tangible ; là, Mlle Martinsson n'est pas réelle !

A part ça, et bien, on retrouve, les joies du climat frisquet -enfin, totalement glacial- de la Laponie, les paysages de neige, de glace, les voitures qui ne veulent pas démarrer, les motoneiges, ... On découvre aussi une description des églises dites libres de Suède qui fait froid dans le dos et qui n'incite pas vraiment à la gaudriole. Mieux vaut les éviter que d'affronter leur courroux. "Comme dans tout pays protestant, l'Église officielle (qui vient seulement d'être séparée de l'État) se double d'une foule de confessions indépendantes (dites "Églises libres") souvent beaucoup plus critiques envers elles que les agnostiques." (note du traducteur, Philippe Bouquet en bas de la page 26). Le contexte de la toute puissance de ces très fortes et très implantées églises libres est très intéressant. Il est bien rendu et crée un climat de tension palpable. Je pourrais dire qu'il rafraîchit le climat, mais vues les températures du pays, ce n'est guère possible. Néanmoins, c'est pour moi le bon point du bouquin.

Pour finir, si je mets dans la balance mes réserves et mes bons points, je ne pèse, en sortant de ce livre pas vraiment plus lourd qu'en y entrant. Concrètement : Pas mal, mais peut mieux faire !

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17 mars 2011

Berlin, fin février/début mars 1930, Betty Winter actrice du cinéma muet qui tourne son premier film parlant meurt accidentellement de la chute d'un projecteur. Du moins, c'est la thèse du départ. Puis, une autre actrice, elle-même en début de tournage d'un film parlant disparaît. Gereon Rath, commissaire est sur l'enquête, jusqu'à ce que celle-ci ait du retentissement, car à ce moment-là, son supérieur le débarque pour reprendre le flambeau. Mais Gereon a de l'avance, ce qui ne plaît pas à tout le monde.

Revoilà donc Gereon Rath de retour. J'avais aimé sa première aventure, Le poisson mouillé, dans le Berlin de l'année 1929, qui appelait une suite. J'ai beaucoup aimé cette mort muette qui n'est pas le dernier puisqu'une troisième enquête est écrite et en cours de traduction. Gros livre (667 pages !) qui ne lasse jamais. Cependant, je débute par ma retenue qui vient du contexte : on le sent bien présent, mais l'auteur y fait référence à doses homéopathiques. En 1930, à Berlin, les communiste et les nazis s'affrontent assez violemment dans les rues, la police est sur les dents pour tenter d'endiguer la violence pendant les manifestations des bruns ou des rouges. J'aurais aimé que l'auteur, qui est historien, nous restitue cet arrière plan beaucoup plus fortement. Les policiers Rath et ses collègues ne prennent aucune position, enfin, pas clairement. On sait à peine, on devine plutôt ce qu'ils pensent sans vraiment que ce soit net. On ne peut que supposer, aisément certes, que Gereon Rath n'est pas nazi, dans ce qu'il fait comme allusions, dans le jazz qu'il écoute (musique interdite par les nazis) et dans le fait qu'il roule dans une Buick (voiture états-unienne), ce qui à l'époque, n'est pas forcément bien vu des futurs gouvernants de l'Allemagne. C'est un peu comme si les policiers vivaient hors les événements qui commençaient à secouer le pays. Mais peut-être à l'époque ces événements étaient-ils ressentis comme ayant peu d'importance, on est encore à trois ans de l'arrivée au pouvoir d'Hitler ? Par contre, une autre partie de ce que j'appelle le contexte est bien restituée : le passage du cinéma muet au cinéma parlant ! Les tenants de l'un s'opposent à ceux qui défendent l'autre. Les défenseurs du muet pensent que leur cinéma est le seul qui soit artistique et que le parlant signe la mort du cinéma. Les autres pensent a contrario que le parlant est l'avenir. Avenir qui leur donnera raison, mais en 1930, rien n'est encore sûr, ce que rend bien Volker Kutscher.

Venons-en maintenant aux autres bons points : l'enquête est prenante, les personnages suffisamment complexes pour qu'on ait envie d'en savoir un peu plus sur eux. Gereon Rath en particulier, qui oscille entre la règle et des méthodes moins scrupuleuses. Il n'hésite pas à demander des services à Johann Marlow, le chef de la pègre berlinoise, qui les lui rend bien volontiers, ne lui demandant encore rien en retour, pour le moment ; une sorte de contrat secret les lie l'un et l'autre. Rath n'hésite pas non plus à frayer avec la presse, à faire des enquêtes "off" pour le compte de personnes influentes. Tout ce qui est bon pour influencer sa carrière, il le prend. Parce qu'il ne pense qu'à cela Gereon. A sa carrière. A son avancement. Sauf lorsque Charlotte réapparaît dans sa vie : là, ses pensées se divisent. C'est ce qui le rend humain, cette ambition, cette envie qu'on parle de lui. Il n'est pas un pauvre flic, désabusé qui ne pense plus qu'à arrêter les "méchants". Ce qu'il veut lui, c'est bien sûr arrêter les meurtriers et que ça se sache. Il veut donc travailler sur des affaires dont on parle et qui peuvent lui rapporter.

Troisième aventure de Gereon Rath : Goldstein, à paraître. Je prends !

Gros mercis à la librairie Dialogue, pour m'avoir permis cette avant-première

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14 mars 2011

Attention, ce roman est drôle et gentiment intelligent. Gentiment intelligent, parce qu'il est truffé de citations philosophiques, de réflexions qui le sont tout autant et de situations qui donnent matière à penser, sans pour autant être un manuel de philosophie. Drôle parce que Frédéric Pagès se moque des puissants, des intellectuels qui se prennent au sérieux, "ces imposteurs, brasseurs de vent et marchands de prétendus "concepts", qui sont à la philosophie ce que Julio Iglesias est à la chanson" (p.130), de "cette haute société bien nourrie" qui vient dans les vernissages pour "s'empiffrer et entasser dans ses assiettes le plus de victuailles possible" (p.16).

Drôle aussi parce qu'il crée des personnages et des situations auxquels on ne s'attend pas.

Venons-en maintenant au titre quelque peu énigmatique qui pourrait se retranscrire de la manière suivante : comment en ne cherchant même pas le pur amour, mais en craignant de le perdre, on peut se retrouver à faire un saut à l'élastique du haut d'un pont. Tout un programme !

C'est aussi, même pas déguisée, une critique de ceux qui veulent laisser la philosophie comme un pré carré aux seuls philosophes, à la seule élite capable de l'entendre. L'auteur prouve -c'est sûr puisqu'il l'a écrit !- que tout le monde philosophe, du moindre quidam à l'agrégé de philosophie, même si Max "n'est pas loin de penser que, si on n'a pas son agrégation à cinquante ans, on a raté sa vie." (p.26)

Plein de références à l'actualité, aux anecdotes plutôt qu'aux grands faits, le livre nous fait sourire -voire rire- tout du long. Max aura énormément de mal à poursuivre sa réflexion personnelle, tant les rencontres -de femmes surtout- le perturbent. Ah Bintou, la sublime Bintou ! "... sublime ? Quelle erreur conceptuelle ! Cette fille est sexy, je veux bien le croire mais sublime, non ! La contemplation d'une bombe sexuelle ne peut pas ouvrir sur l'Infini, mais seulement sur la fornication. Or le sublime est contradictoire avec toute idée de consommation." (p.168)

J'ai aimé ce roman écrit par Frédéric Pagès, journaliste au Canard Enchaîné, connu aussi comme le créateur du désormais célèbre et vivant philosophe, cité par les plus grands (?), Jean-Baptiste Botul. D'ailleurs, l'un des brefs personnages du roman se nomme Tonio Botul et l'une des citations mises en exergue à chaque chapitre est de J-B Botul. Botul dont l'oeuvre contient des titres tels que La Métaphysique du mou, Landru, précurseur du féminisme, entre autres.